25 février 2007

Carnet de Bord, Naplouse, rencontre avec un combattant

Aujourd’hui, c’est le dernier jour pour les français du groupe. Deux d’entre nous ont négocié pour aller rencontrer un résistant. Nous voulions absolument parler à un combattant en arme pour avoir une idée de sa position et de ses arguments. Un habitant nous conduit donc dans le camp d'Askar al kadim. Nous entrons dans les ruelles, puis dans une petite maison où  plusieurs hommes assis sur des canapés sont entourés d’armes en tous genres…

« Posez moi les questions que vous voulez, mais sachez que dans une demi-heure / trois quart d’heure je dois m’en aller. » nous explique d’entrée, l’homme qui doit répondre à nos questions. Il se fait appeler Ramadan, mais nous n’avons aucune certitude sur la véracité de ce nom. C’est un homme d’une quarantaine d’année, plutôt souriant, qui ne porte ni la barbe ni de signe distinctif d’appartenance à une religion. Apparemment, il lâche rarement son fusil mitrailleur des yeux. Il fait parti des Brigades des Martyrs d’Al Aqsa, groupe armé proche du Fatah. L’homme nous explique qu’il est recherché par l’armée israélienne et que c’est la raison pour laquelle il ne reste jamais longtemps au même endroit, surtout lorsqu’il rencontre des étrangers. Évidemment la caméra est proscrite et toute photo est interdite.

Nous débutons notre petite interview par les raisons fondamentales de sa décision de prendre les armes. L’homme souri, puis redevient sérieux et explique clairement que pour sa part, il a pris les armes dans un soucis de défense : « Les soldats viennent toutes les nuits tuer nos enfants, nos femmes et détruire nos maisons. Ils nous volent nos terres chaque jour, je ne peux pas les laisser faire sans me défendre. Déclare t il.  De toute manière, que je sois armé ou pas, que je me défende ou pas, le résultat est le même, ils continueront de tuer nos familles. Alors autant se défendre comme on peut. » Poursuit-il.

Une question qui me turlupinait depuis quelques jours me brûle les lèvres. Je lui demande pourquoi ces jeunes se baladent dans la rue toutes armes dehors. Je prends l’exemple de la résistance française pendant la seconde guerre : le mot d’ordre était la discrétion. Or là, c’est tout le contraire. J’insiste en lui demandant, si au final, ce n’est pas contre productif, car tout le monde sait qui est armé et donc si il doit y avoir de la délation, il est aisé de savoir qui accuser. Il répond simplement que leurs armes sont devenues leurs seules protections et que les combattants ne peuvent pas se déplacer sans elles. Comme se sont des armes de calibres importants, ils ne peuvent pas les cacher. Ils sortent donc ouvertement avec, et sont officiellement des combattants. Ils l’assument parfaitement, selon les dires de Ramadan.

Une autre interrogation me vient, concernant les attentats suicides. La réponse n’a pas été très originale et je m’attendais à ce genre de réplique. Ramadan défend cette façon de faire en expliquant le déséquilibre de l’armement entre eux et les soldats israéliens. Il explique que malheureusement, les soldats bombardent les villes palestiniennes, tuant de nombreux civils, sans aucune retenue avec tous types d’armes hyper sophistiquées. Il ne voit donc pas pourquoi eux ne toucheraient pas les civils israéliens en plein cœur de leurs villes. Je lui demande tout de même si cette façon de faire n’est pas aussi contre productive, car la répression des soldats est d’autant plus vive et les négociations de paix en sont souvent frappées de plein fouet. « Ça ne change rien pour nous dit il. Nous avons fait une trêve depuis à peu près deux ans, aucun attentat suicide n’a touché Israël, en contre partie nous voulions la décolonisation et le retrait des terres occupées. Nous avons tenu notre part du marché, mais les israéliens n’en ont rien fait. Ils ne respectent jamais les traités que nous tentons de mettre en place avec eux. »

Nous posons une question sur leur manière de vivre et notamment sur la provenance de l’argent qui leur sert à survivre. Ramadan a refusé de répondre.

Nous poursuivons notre discussion sur la provenance des armes qu’ils possèdent. La réponse m’a particulièrement choquée. Il me présente son arsenal tout neuf, et me demande de lire sur le côté des armes que je vois. Il est inscrit en lettres blanches « Made in Israël ». Automatiquement je lui demande comment cela est possible. Il me répond naturellement qu’ils font du business avec l’armée israélienne. Cette dernière leur vend des armes à des prix raisonnables. Selon les dires de notre hôte, la raison est simplement que l’armée israélienne veut que les différentes milices armées s’entre tuent. « Tu sais, un soldat israélien est capable de te donner son arme de poing pour du Hashish, me réplique-t-il en riant. C’est déjà arrivé à plusieurs reprises.»

La demi heure est passée, nous sommes raccompagnés à la voie principale du camp. Ces quelques dizaines de minutes passées en compagnie de ses combattants nous ont quelque peu éclairé sur l’organisation de ce conflit. Nos préjugés sont bouleversés notamment par les relations ambiguës qu’ils entretiennent avec l’armée israélienne. Nous sommes tout de même rentrés pessimistes sur l’issue de la situation dans les Territoires Palestiniens.

Nadia S.

21 février 2007

Carnet de bord, Naplouse 3ème jour

…Nous sortons d'Askar, le cœur serré et nous nous dirigeons vers le centre ville de Naplouse. Nos guides nous emmènent dans un lieu hautement symbolique de la résistance menée contre l’augmentation des colonies dans leur région. Nous arrivons sur une place, au centre, nous apercevons une sorte de bâtisse arrondie, qui ressemble à une mosquée.

En fait, c’est une tombe qui abritait un Cheikh reconnu dans toute la région. Cette bâtisse est maintenant abandonnée, car bombardée. Les traces noires des explosions sont restée gravées sur les murs. Nous pensons tout de suite que l’armée israélienne est à l’origine du carnage, mais non… nous apprenons qu’en fait, il y a de ça quelques années, le gouvernement israélien a revendiqué cette bâtisse, disant que gisait là un « saint » juif. Selon Israël, chaque juif devait avoir le droit de visiter ce tombeau. L’armée est arrivée, a installé un check point et a tenté de construire quelques demeures afin d’accueillir de nouveaux colons. Les habitants palestiniens de la ville se sont élevés violemment contre cette décision, déclarant que ce tombeau était celui d’un vieux Cheikh musulman qui n’avait rien à voir avec le judaïsme. Il y eu de nombreuses manifestations, de nombreux morts, et puis la décision a été prise. Afin de ne pas voir le développement d’une colonie à cet endroit, les palestiniens ont bombardé le tombeau eux même. Les soldats ont finalement lâché l’affaire, et ils ont quitté les lieux. Les revendications du gouvernement israélien ont cessé et il ne reste plus de cette histoire que les ruines de cet édifice et les traces du check point. Ce fut une maigre victoire pour les palestiniens, mais une victoire quand même. Nous repartons avec à l’esprit, de nombreux questionnements quant à l’utilisation perverse de la religion à des fins politiques…

Nous continuons notre visite de Naplouse et arrivons dans une immense église tenue par un prêtre grec orthodoxe qui nous ouvre ses portes. Le petit prêtre vit seul dans cette grande bâtisse. Selon ses dires, c’est à partir de cet endroit dans lequel gis un puit, que Jacob distribuait l’eau aux pèlerins. Nous remarquons à quelle point l’église est flambant neuve. Le prêtre (voir photo) nous explique qu’en fait, régulièrement, les soldats israéliens détruisent cette église en la bombardant. Il y a sept ans, témoigne le vieil homme, ils ont même investi les lieux et assassiné l’ancien prêtre. Mais il nous affirme que chaque fois que les soldats détruiront son église, il la reconstruira, sans relâche. En admiration devant sa fermeté et son courage, nous le suivons dans les sous sols de son édifice, ou le vieux puit résiste. Le vieil homme nous offre un vers d’eau et nous buvons avec plaisir ce liquide d’une fraîcheur sans commune mesure.

Nous repartons et passons brièvement au camp de New Askar, ou nous buvons le thé dans un petit jardin. En face de nous, sur la colline, se lève l’une des colonies israélienne qui entoure la ville de Naplouse. Les immeubles sont très différents des constructions palestiniennes, ils ressemblent à une banlieue proprette de la région parisienne. Nous en avons croisées plusieurs sur les différentes routes que nous avons empruntées dans le pays (voir photo). Ces colonies s’inscrivent difficilement dans le paysage des palestiniens, et les regards qu’ils portent dessus sont tristes et désemparés. On peut appercevoir sur les routes, des colonies dites "sauvages" (voir photo à gauche). Se sont des caravanes qui sont installées à la va vite, n'importe où dans le territoire palestinien. Après quelque temps, l'armée vient protéger les nouveaux colons, puis le gouvernement israélien offre les routes, les infrastructures : écoles, eau, électricité... et voila qu'en quelques semaines une colonie s'est construite, dans l'illégalité la plus totale ! Lorsqu’on questionne les palestiniens à ce propos et sur leur sentiment vis-à-vis de la colonisation, les habitants ont coutume de répéter : « Notre vie est ainsi… »

Après avoir finalement assisté au spectacle que tous les enfants du camp de New Askar ont préparé depuis plusieurs semaines, nous avons été dans la petite « foire du trône », non loin de là, faite avec les moyens du bord. Peut nous importe que les jeux ne soient pas les derniers cris de la technologie, nous avons ris et partagés de bons moments.

Nous sommes rentrés le soir, comblés. Puis, la ville a repris sa complainte : le chant des rafales raisonne.


Nadia S.

19 février 2007

Les bulldozers en action

Debout de bonne heure ce 15 août, la jeune femme qui m'accueille et moi, sommes réveillées par l’une des femmes de la famille. Dès l’émergence de nos esprits encore endormis, la famille allume la télévision sur la chaîne locale. Les soldats israéliens sont en train de détruire une maison dans le camp de réfugiés d'Askar, non loin de chez nous…

Nous voyons à la télévision, le bulldozer aller et venir sur le tas de gravas, comme pour écraser ce qui reste de la maison. Je m’habille en quatrième vitesse et fonce au centre social du camp de New Askar. Les habitants sont en ébullition, le groupe de français est là et nous demandons à aller voir l’action qui se produit en ce moment même dans le camp de réfugiés du vieux Askar, en face. Les responsables palestiniens refusent gentiment, nous indiquant que c’est trop dangereux de s’y rendre lorsque les soldats sont présents, car ils sont sur le qui vive et peuvent tirer à n’importe quel moment. C’est alors que les enfants se mettent à crier, et en regardant à l’horizon nous apercevons le convoi militaire quitter le camp.

Nous montons rapidement dans les véhicules de nos hôtes, direction le lieux du drame. Nous arrivons en plein centre du vieux Askar, camp qui compte plus de
15 000 habitants. Au milieu des ruelles des dizaines de milliers de pierres et de cailloux jonchent le sol. Les enfants et les jeunes se sont levés tôt pour accueillir le convoi de soldats, à coup de pierre. Les réfugiés d'Askar nous racontent qu’ils sont arrivés vers cinq heures du matin. Il y a eu des affrontements, les pierres en témoignent, mais aussi les nombreux impacts de balles sur les voitures et les murs. Nous avançons progressivement vers ce qui reste de la maison. Sur le chemin, les habitants nous expliquent que dans l’une de ces maisons une vieille dame de 70 ans est décédée ce matin, son cœur n’ayant pas supporté les bombes sonores lancées par les soldats à l’aube, sous ses fenêtres. Quatre jeunes hommes ont été arrêtés pour avoir tenté d’empêcher l’armée israélienne de détruire cette maison en plein cœur du camp de réfugiés d'Askar.

Nous arrivons finalement sur ce qui reste de la maison d’une famille comptant une dizaine de membres qui sont maintenant à la rue. Les soldats cherchaient apparemment un homme qui n’était pas présent, parti à Ramallah pour affaire. Le frère de celui-ci a prévenu les soldats. Il témoigne, choqué et portant encore sur le front le bout de tissu que les soldats ont utilisé pour lui bander les yeux. « Ils m’ont dit d’appeler mon frère, que s’il n’était pas là dans les cinq minutes, ils détruiraient la maison ! explique t il, les larmes au yeux. Je l’ai appelé, mais il est à Ramallah, comment pourrait il être la en cinq minutes, ce n’est pas possible, on met au moins une demi heure pour venir ! » Visiblement ce n’était pas le problème des soldats qui ont donc détruit les trois étages qui constituaient la maison familiale.

Mieux encore, ils se sont attachés à écraser sur les murs les taxis jaunes qui servaient aux hommes de la famille de seuls revenus pour nourrir les leurs. Les voici donc, eux, leurs femmes, leurs enfants, à la rue et sans ressources… Les arrivées d'eau ont été défoncées et le jet jailli du sol, tapant violemment sur la carcasse du taxi.


Les petites mains s'agitent sur le chantier, tentant de récupérer ce qui peut encore l'être. Chacun se regarde, horrifié et désemparé face à ce qui vient de se passer. Certain tente d'expliquer à leurs enfants ce qui arrive, pourquoi, comment, que faire... C'est là que la philosophie de la vie prends le pas sur l'évènement. Chacun en tire ses leçons, bonnes ou mauvaises. C'est ainsi que ces enfants apprennent malgré eux, chaque jour, la situation du pays dans lequel ils sont nés.



Nadia S.

16 février 2007

Naplouse : la Moqata en ruine...

Ce matin là, nous nous sommes empressés de nous retrouver au centre social du camp de réfugiés de New Askar, afin de partir visiter Naplouse. Nous voici donc dans un minibus de fortune, conduit par l’un des habitants. Les routes sont particulièrement mauvaises, de nombreux trous jonchent le sol, des pierres envahissent, à certains endroits, le passage routier.

A l’entrée de la ville, nous apercevons un énorme tas de gravas, qui doit mesurer 250 mètres de long, sur le côté gauche de la route. Un bâtiment a été détruit ici, c’est certain. Nous nous arrêtons et apercevons sur le sol, des papiers officiels entachés par la poussière et les débris. S’élevait ici, la « Moqata » de Naplouse, c'est-à-dire le bâtiment de l’administration de la ville et de la région. Dix jours avant notre arrivée, nous expliquent nos jeunes guides, les soldats israéliens ont détruit ces trois immeubles, annexes du ministère de l’intérieur palestinien, pour rechercher trois présumés « combattants », qu’ils n’ont finalement pas trouvé. C’est à la grenade, à l’obus puis au bulldozer que l’armée israélienne s’est adonnée à un sport qui lui est cher : la destruction des immeubles. Les nombreuses fiches d’état civil se baladent aux grès du vent, avec des photos d’identités méticuleusement agrafées dessus.

Des enfants viennent jouer sur ce qui est maintenant un immense château de ruine. D’autres viennent récupérer ce qui est revendable : le métal, les accessoires de bureau…  Ils ont une dizaine d’année... Ce tas de ruines, ces immeubles éventrés, écorchés nous font penser aux destructions subies par les libanais, au même moment. Cette action de destruction, qui semble mettre à terre toute forme d’autorité autre que celle des militaires, nous touche profondément. Comme un message crié sur les toits : nous vous contrôlons, vous, vos déplacements, votre eau courante, votre électricité, vos lignes téléphoniques, même jusqu’à vos institutions que nous pouvons détruire quand bon nous semble… Car effectivement, nous apprenons plus tard que tout ce qui est nécessaire à la vie des palestiniens dans les territoires : eau, électricité, communication, déplacement, est géré par l’armée israélienne...

Nous reprenons donc notre route en direction de l’université principale de la ville. An-Najah University est absolument immense et somptueuse. 80% des fonds pour sa construction proviennent de la diaspora palestinienne dans le monde, et d’un point de vue architectural, c’est une réussite.  Des centaines, des milliers, d’étudiants et d’étudiantes vont et viennent entre ses murs où se transmet une chose primordiale à la lutte pour la liberté : le savoir. Et nous sentons, par leur organisation, qu’ils l’ont très bien compris : ce savoir est une arme.


Nous reprenons finalement notre minibus et roulons jusque dans la vieille ville de Naplouse. Nous faisons un passage éclair dans un immeuble abritant plusieurs associations de défense des droits des palestiniens. Une affiche nous a marqué : celle de la jeune américaine écrasée en 2003 par un bulldozer israélien. Rachel Corrie avait pacifiquement tenté d’entraver le travail des bulldozers qui construisaient le mur et qui l’ont finalement sciemment, écrasée… La jeune américaine est morte des suites de ses blessures. Ici, tout le monde se souvient d'elle.


La vieille ville : bastion de la résistance

Nous repartons et arrivons finalement dans les ruelles de la vieille ville de Naplouse. Elle ressemble à la vieille ville de Jérusalem : ses passages sont très étroits et les ruelles s’entrecroisent sous les tunnels de pierres. Nous nous baladons dans les rues, où des maisons ont été détruites. A l’entrée nous remarquons d’énormes blocs de pierre qui entravent le passage des véhicules. « Les résistants les ont mis la pour empêcher les bulldozers israéliens de pénétrer dans la vieille ville » nous explique l’un des palestinien qui nous accompagne. De toute façon, ces véhicules ne pourraient pas aller bien loin étant donné l’étroitesse des ruelles. D’ailleurs, nous explique-t-on, cette partie de la ville, ainsi que les camps de réfugiés, constituent les partis les plus difficilement atteignables pour les soldats. Ces derniers ne peuvent pas s’y déplacer en véhicules, et dans les ruelles, ils sont obligés de se mettre les uns derrières les autres. Ce qui ne les enchante pas, étant donné la fragilité que ce type de déplacement engage. Ces coins de villes sont donc les bastions de la résistance palestinienne, et nous ne tardons pas à croiser des hommes en arme.

Ils nous observent et instinctivement s’approchent de notre guide pour lui demander qui nous sommes. Ils parlent en arabe et évidemment, nous n’y comprenons pas un traître mot. Cependant, les jeunes palestiniens qui nous accompagnent nous traduisent le bref échange de paroles. Les jeunes hommes armés ont décidé que dorénavant, avant de pénétrer dans cette partie de la ville, les guides devront les prévenir du passage d’étrangers afin de sécuriser la zone, disent-ils. Ils nous paraissent froids et ne semblent pas spécifiquement enchantés de notre présence. Nous repassons peu après non loin d’eux, et la glace se brise. Ils nous sourient et nous les saluons : « salamalaykoum », ils répondent poliment : « walaykoum salam ». Cela les enchante et ils rient à pleine dent.

La vie continue dans la vieille ville de Naplouse. Les marchands sortent leurs étalages, les musiques orientales retentissent, les enfants jouent, les femmes font leur marché… tout ceci sous le regard avisé de ces hommes armés qui semblent être les gardiens de ces lieux.

Nous montons en haut de la colline qui surplombe la vallée de Naplouse, et observons le coucher du soleil sur la ville. On ne peut pas aller plus loin, les soldats gardent les hauteurs afin d’avoir une vue d’ensemble sur ce qui semble être une prison à ciel ouvert. Toutes les routes de sortie de la ville sont entravées ou contrôlées. Nous rentrons donc au camp de réfugiés, chacun dans nos familles, exténués par cette journée chargée.
Le bal des rafales reprend, une musique…

Nadia S.

14 février 2007

Carnet de bord, arrivée à Naplouse / camp de New Askar

Au départ de Jérusalem, nous prenons un petit bus qui nous dépose en plein centre de Ramallah. A partir de là, nous trouvons un taxi qui accepte de nous accompagner jusqu’à Naplouse, l'une des villes les plus secouée par les violences des soldats israéliens.


Nous arrivons donc à l'entrée de la ville. Se dresse là un check point, où s'entassent plusieurs centaines de personnes qui patientent sous le soleil écrasant du mois d'août. Les voitures klaxonnent, les conducteurs négocient mais les ambulances restent bloquées. Aujourd'hui, aucun véhicule ne passe, décision des soldats israéliens qui semblent perdre patience à la vue de l’affluence. Nous les voyons hurler sur les femmes qui attendent de passer. Nous descendons de notre taxi et récupérons nos bagages, afin de traverser la barrière militaire à pied. Au bout du chemin entouré de grillages, nous passons un tourniquet, et nous apercevons dans l'autre sens, une ruée de gens qui attendent de pouvoir sortir de la ville. Entassés derrières d’énormes barreaux de fers, tels des animaux, ils sont triés par âge et par sexe. Les femmes et les enfants d'un côté, les hommes de l'autre. La raison de cet entassement est simple : les soldats israéliens ont fermé tous les tourniquets sauf un, qui doit donc permettre, à lui seul, le contrôle au compte goûte, de plusieurs centaines de personnes. Sous le cagnard, les enfants et les personnes âgées ne sont pas épargnés par l'attente insoutenable.



C'est au camp de réfugiés de New Askar, non loin de la ville principale, que nous logeons. Après avoir été accueillis comme des rois par les responsables du centre social, nous nous dispersons afin de nous installer dans nos familles d'accueil.

Je suis hébergée par une grande famille, où beaucoup de femmes cohabitent. Une voisine est venue nous visiter durant cette après midi. Elle s'appelle Myriam. Mère de deux filles et de  trois garçons, elle a absolument tenue à m'inviter dans sa maison afin de m'offrir le goûter et de me parler de sa famille. J'accepte avec joie et la suis. J'entre dans sa demeure. Il y a un énorme trou dans le mur, sur la droite (voir photo à gauche). La femme me montre les meubles cassés et les portes défoncées. "Israelis, Israelis !" me dit-elle. Elle ne parle pas du tout anglais et notre conversation reste des plus limitée. Mais je comprends qu'elle me dit que se sont les soldats israéliens qui sont venus chez elle.

L'une de ses filles, qui articule quelques mots d'anglais, m'explique que son frère de 18 ans a été arrêté il y a deux mois de ça. Les soldats sont venus la nuit, ils ont tous dévasté dans la maison et ont attrapé le fils qui dormait dans son lit. Le jeune Ahmad a été blessé durant cette altercation. La mère me mime la scène, les larmes aux yeux. Elle me dit avec des gestes qu'il a pris deux balles dans le ventre. "Israelis, bang bang!" me dit-elle en me mimant une arme avec ses mains et me montrant où ils ont tirés. Elle me rassure sur l’état de santé de son fils, tout en me dévoilant des photos de lui. J’aperçois, sur quelques unes de ces photos, le jeune homme portant fièrement différents types d’armes : M16, mitrailleurs, armes de poing (photo)… Je lui demande si les soldats ont trouvé ces images. Elle me dit que non, qu’elle les a caché quand ils sont arrivés. Ces photos m'ont quelques peut interpellées, et je me suis dit intérieurement que si son fils était un combattant, le fait que les soldats viennent l'arrêter n'est finalement que partie prenante du "jeu", si je peux l'appeler comme ceci. C'est triste et parfois tragique, mais c'est le risque lorsqu'on décide de s'engager dans le combat armé...

Au final, je ne sais pas si son fils était un combattant, car au fil du temps, je me suis rendue compte que ce type de photos foisonne auprès des jeunes palestiniens. Je compare cette façon de faire avec les jeunes français qui aiment à se prendre en photo un joint à la bouche faisant des signes d’insultes, comme défiant une certaine autorité. Évidemment, l'autorité et la situation sont différentes, mais je me rends compte qu’en fait, ces photos ne veulent pas nécessairement dire que ces jeunes se battent. C’est apparemment une façon de montrer leur force ou encore leur courage. Plus tard, un des jeunes du camp m’a d’ailleurs proposé de me prendre en photo à ses côtés, en portant une arme ! J’ai décliné l’invitation, réalisant qu’effectivement c'est un des moyens de communiquer un sentiment où peut être une impuissance qu’ils rejettent, face à la situation. Tous les jeunes ont des photos de ce type. Je ne suis pas là pour juger quoi que se soit et donc, j'ai regardé avec attention les photos que cette mère m'a présentée de son fils.



Je rentre enfin au sein de ma famille d’accueil. Toutes les femmes sont à la cuisine préparant différents mets : purée de poids chiche, pain au fromage, feuille de vignes farcis…etc. L’ambiance est au rire, les nombreux enfants sont sur le balcon et jouent paisiblement sous les derniers rayons de soleil.



La nuit tombe. A peine le jour s'en est allé que des bruits de rafales percent la douceur du soir. Je m’inquiète et me mets à la fenêtre afin d’identifier d’où viennent les tirs. La famille me regarde en souriant. « C’est normal ici, tu vas voir au bout de quelques jours, ce bruit deviendra une musique » m’assurent-elles… En effet, la première fois, j’ai sursauté. La seconde, je me suis inquiétée, et puis au bout d’un moment, je me suis habituée.

Cette première nuit passée dans le camp de réfugiés de New Askar a été bercée par les rafales qui ont raisonnées dans la vallée, aiguisant du même coup ma volonté de visiter Naplouse, cette ville meurtrie par les affrontements réguliers.

Nadia S.

11 février 2007

Bil'in ou quand les pacifistes ocidentaux défient l'armée israélienne...

...Tous les vendredi après la prière, le petit village de Bil'in est en effervescence. Des centaines de pacifistes occidentaux débarquent des taxis et autres camionnettes pour manifester contre le Mur qui sépare les villageois de leurs terres cultivables. Les enfants de ce village ne sont plus du tout impressionnés par le déferlement hebdomadaires d'américains, de français, d'allemands, de suédois, d'italiens, de canadiens, mais aussi et surtout d'israéliens anticolonialistes qui viennent ici partager la lutte avec les palestiniens. La majorité des troupes de ces manifestations, est d'ailleurs composée de ces jeunes israéliens qui refusent l'occupation que leur pays impose aux palestiniens.

En arrivant ce vendredi 11 août à Bil'in, j'ai rencontré deux jeunes israéliens qui m'ont fait visité ce petit village palestinien sur les hauteurs d'une colline. J'a donc suivi Ronnie et Limor durant quelques temps, sous le cagnard du mois d'août. Ils m'ont amenée jusqu'à la maison d'une famille palestinienne, à laquelle ils ont d'ailleurs ramené des fruits. Sur le chemin, ils n'ont cessé d'embrasser chaleureusement plusieurs habitants, et de discuter avec chacun d'eux, en hébreux et en arabe (photos à droite et ci-dessous). Pardonnez moi l'expression, mais j'étais sur le cul !


Ces deux jeunes israéliens sont en fait des habitués du village de Bil'in. Ils viennent toutes les semaines depuis que le Mur de séparation a ravagé la vie quotidienne de ce petit village, qui est devenu une sorte de symbole de l'apartheid infligé par le gouvernement israélien aux deux populations. C'est ainsi que la plupart des associations internationales qui luttent contre l'occupation et la colonisation, incitent leurs membres et leurs voyageurs à faire, au moins une fois, la manifestation de Bili'in. Après avoir visité le village, la fin de la prière du vendredi s'annonce, la manifestation peut commencer.

Nous voici donc, tous internationaux confondus avec les palestiniens du village, lancés dans une manifestation pacifique. Huit minutes plus tard, après avoir parcouru 150 mètres, l'armée israélienne déferle, toutes armes dehors tirant à tort et à travers et hurlant dans des haut-parleurs.


Les manifestants israéliens qui se placent généralement à l'avant du cortège, tentent de communiquer avec les soldats en hébreux, mais ce jour là, les soldats étaient particulièrement chatouilleux. Selon de nombreux témoins, d'habitude le cortège arrive au moins jusqu'au mur. Là, nous n'avons même pas eu le temps de l’apercevoir. Les soldats ont chargés en tirant d'abord avec des balles en caoutchoucs, puis des bombes sonores, lacrymogènes et enfin à balles réelles. Nous avions pourtant tous levés les mains, montrant pertinemment que nous n'étions pas armés... ils n'en avaient visiblement rien à secouer. Nous avons tenté de prendre un second passage, mais le groupe était déjà disloqué, et chacun courrait s’abriter. Un petit groupe d’internationaux sont restés coincés derrière un muret, sous le feu des soldats.

Nous n'étions pas les bienvenus, ils nous ont donc explicitement et violemment renvoyés. Plusieurs dizaines de manifestants ont été blessés, dont l'un grièvement. En effet, Limor le jeune israélien qui m'avait fait visiter le village quelque temps plus tôt a reçu trois balles en caoutchouc tirées à bout portant dans le visage et dans le coup (photo à gauche). Cela lui a valu un coma de plusieurs semaines... mais aujourd'hui il va mieux. Il a tout de même porté plainte contre l'armée israélienne, car les soldats ne sont pas supposés tirer au dessus de la ceinture, dans les foules pacifistes. Nous sommes tous repartis aussi vite que nous sommes venus, après avoir prodigués quelques soins élémentaires aux blessés légers (photo à droite). Limor, de son côté a été directement embarqué dans l'ambulance militaire israélienne.


Check point de Kalandia

Nous avons donc repris notre chemin, secoués par notre manifestation catastrophe. Reprenant nos affaires à Ramallah, nous sommes repartis en direction de Jérusalem. En passant l'industriel check-point de Kalandia, qui constitue l'entrée principale de Ramallah, j'ai voulu, bêtement je vous l'accorde, prendre une photo de ces grillages impressionnants (photos), des tourniquets et de la salle d'attente. Je n'avais pas remarquée qu'une femme soldat me regardait derrière sa vitre teintée, du haut de son mirador. C'est alors qu'elle hurle en hébreux dans les hauts parleur de la bâtisse. Je sursaute sans pourtant rien comprendre à ce qu'elle raconte. Un jeune palestinien me traduit ses paroles me disant "c'est interdit de prendre des photos, arrétez tout de suite !"

Je range donc mon appareil, et elle continue à vociférer, sa voix résonnant dans tout le check point. Le jeune palestinien me traduit m'expliquant qu'elle décrit mes habits aux autres soldats, qui contrôlent les gens au compte goûte. Ils m'appellent donc à passer devant tout le monde afin de vérifier mon appareil. Je sors mon passeport pour leur faire comprendre que je ne parle ni l'hébreux, ni l'arabe. Derrière une vitre blindée, je vois apparaître une petite jeune femme, qui doit avoir mon âge et qui se met à hurler : "Tu as pris une photo? tu mens, tu as pris des photos, donne moi ton appareil !". Elle me fait entrer dans une toute petite salle, où deux soldats viennent contrôler ma petite caméra. Par je ne sais quel miracle, mon appareil était tombé en panne dans la mâtiné. On pouvait toujours filmer, mais il était impossible de revoir ce qui venait d'être enregistré. Heureusement d'ailleurs, car la cassette contenait entre autre, le film de la manifestation de la matinée. Sûre de moi, je hurle à mon tour : "vous voyez bien qu'elle est cassée, comment je peux prendre une photo alors qu'elle ne marche pas!". Les deux jeunes hommes m'ont regardé, ébahis, m'ont rendu ma caméra et m'ont finalement laissé partir...Ouff !

Nous avons passé une nuit bien méritée à Jérusalem. Demain, nous allons dans le nord, à Naplouse, l'une des villes les plus secouer par la violence de l'armée israélienne...

Nadia S.

8 février 2007

Carnet de bord, Ramallah

Nous quittons Hébron, des souvenirs plein la tête. Non loin de là, nous nous arrêtons afin de visiter une soufflerie de verre. De l'autre côté de la rue, nous apercevons un check point, ouvert, juste devant une usine Coca Cola. La symbolique était tellement caricaturale, que ça nous a marqué. Voyant notre amusement devant ce tableau, un de nos accompagnateurs nous explique que l'entreprise Coca-Cola a gracieusement offert une partie de son terrain pour la construction du check point... pourtant, ils ne boycottent pas Coca Cola, car, nous précise-t-il, cette usine fait travailler des palestiniens...


Nous avons repris notre chemin et avons décidé à l'unanimité de passer par la route 'palestinienne'. En effet, les palestiniens étant interdits d'accès à Jérusalem, ils doivent faire un détour afin de rallier le sud au nord de la Cisjordanie. Loin d'être un raccourci, ce chemin rallonge le temps de parcours d'au moins une heure et demi, lorsqu'aucun check point n'est fermé ou problématique. Par Jérusalem nous aurions du mettre une demi heure, or là nous sommes arrivés à Ramallah un peu plus de deux heures après notre départ de la soufflerie. La route est exécrable et les check points nombreux. A l'un d'entre eux, le soldat a demandé les passeports à seulement deux d'entre nous, les seuls 'basanés'. Chacun a soupçonné la discrimination assumée du soldat. Nous avons continué notre chemin, longeant à de nombreuses reprises le mur de séparation. Nous nous sommes sentis emprisonnés, comme des parias.

Nous arrivons donc à Ramallah, ville principale de la Palestine, puisqu'habritant le siège de l'Autorité Palestinienne. Cette ville est d'ailleurs très occidentalisée et la majorité de ses habitants sont chrétiens. Le taxi nous dépose en plein centre ville, non loin de la place Manara. Les drapeaux libanais fusent dans les rues, et toutes sortes de CD et DVD de la guerre au Liban sont vendus à la sauvette sur des stands de marché. On trouve même des drapeaux irakiens flottant en solidarité. Deux d'entre nous ont été hébergés chez un chrétien, habitant non loin. Il vit seul et nous a très bien accueilli.
Après s'être reposé, nous avons quelque peu discuté avec notre hôte. Il n'est ni croyant, ni pratiquant, mais reste convaincu que le gouvernement israélien ne veut pas faire la paix. Plus jeune, il a participé à la révolte de la première Intifada et a passé quatre ans en prison. Il nous raconte brièvement les tortures qu'il a subit de la part de ses geôliers. Ces types de tortures ressemblent étrangement à celles faites en Algérie durant la guerre d'indépendance, notamment la technique de l'électricité. Il nous raconte que les soldats faisaient leurs besoins dans un sac et qu'ils lui mettaient sur la tête pendant plusieurs heures. En plein hiver, il est fréquent qu'ils mettent le prisonnier dans un bain d'eau froide, rempli jusqu'au coup, dehors, sous la neige, et ce, pendant plusieurs jours. Ils peuvent aussi vous mettre nu dans une toute petite pièce, où vous devez vous recroqueviller pour entrer. Ils vous laissent ainsi des jours durant. Notre hôte nous explique qu'il y a énormément de palestiniens dans ces prisons. Quand ils arrivent, le premier jour, il y a une sorte de comité d'accueil palestinien, qui questionne les nouveaux sur leurs orientations politiques et sur leur origine géographique dans les territoires. En fonction de leurs réponses, ils sont orientés vers le groupe qui leur correspond.

Une très grande partie des hommes palestiniens sont passés par ces prisons. Aujourd'hui, on dénombre à peu près 10 000 prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes. Se sont lors de rafles la nuit, dans les habitations, que bon nombre d'entre eux finissent par être enfermés sous le joug d'un "emprisonnement administratif" pour lequel aucun jugement n'est nécessaire. Ces emprisonnements administratifs sont ré-actualisables tous les trois mois, à volonté. Vous pouvez donc passer plusieurs années derrière les barreaux sans qu'aucune charge ne pèse contre vous. Les soldats invoquent à tort et à travers les "raisons de sécurité". C'est une aberration, car ces jeunes gens, qui à la base ne sont pas forcément des "combattants", ressortent de ces geôles avec un réseau bien ficelé et dix fois plus de raisons de vouloir se battre pour être libre, si déjà ils n'avaient pas trouver celles-ci dans leur vie quotidienne. Ils ressortent, pour la plupart, écorchés, humiliés, torturés...

Nadia S.

6 février 2007

Carnet de bord, Deisheh, Hébron (fin)

Ce huit août est une journée haute en émotions de toutes parts. Nous avons débuté notre visite par le camp de réfugiés de Deisheh, situé à mi chemin entre Hébron et Bethlehem. Ce camp a été l'un des théâtres de nombreux et violents affrontements entre palestiniens et armée israélienne, notamment lors de la première Intifada. Les traces de ces violences subsistent de part l'entrée du camp, où chaque habitant devaient passer par un seul et unique tourniquet. C'était donc une prison à ciel ouvert ou s'entasse plusieurs milliers de réfugiés. Contrairement à ce que beaucoup pensent, les camps de réfugiés sont en durs, les maisons se sont construites notamment lorsque les palestiniens se sont rendus compte que leur situation de réfugiés allait perdurer de nombreuses années. Cependant, le statut de 'réfugié' est resté, donné par le petit centre des Nations Unis, qui fournit le stricte minimum vital aux habitants vivant dans une précarité immense. (voir photo) Nous avons tout d'abord visité le centre social du camp, dont les murs sont ornés de peintures représentant la situation et le sentiment des artistes, originaires du camp. (photo à gauche)

Notre jeune guide du jour, nous a baladé dans ce camp meurtri. Il nous a, de plus, présenté une famille palestinienne dont la fille de 14 ans, a été tuée d'une balle dans la tête, par derrière, à bout portant, par un soldat israélien, en 1994. Cette jeune fille, se rendait à un enterrement qui a mal tourné. Nous avons vue la vidéo de l'évènement. L'armée a encerclée la manifestation et tiré sur la foule. Cette famille nous a gentiment ouvert les portes de sa maison afin de nous expliquer l'histoire de leur fille. Ils nous ont montré les photos du cadavre de leur enfant (photo à droite). Certain d'entre nous ont été choqués par cette forme d'"impudeur". Leur rapport à la mort est en effet très différent du notre, en occident, surtout compte tenu de leur situation et du fait que la mort constitue un véritable élément de leur vie quotidienne. Nous avons finalement quitté le camps, émus.


Soirée mouvementée

A notre retour à Hébron, le soir, nous sommes retournés fumer notre chicha avec les palestiniens de la veille. Nous avons voulu retenter l'expérience fabuleuse du pick up, et trois d'entre nous sont partis vers minuit.
Nous avons parcouru 300 mètres, tourné à gauche et là... check point mobile. Une jeep blindée en travers de la route nous incite à nous arrêter. Les soldats braquent leur M16 sur nous, nous hurlant de descendre immédiatement du véhicule. "Passeports, Passeports !" crient ils. Nous obéissons sans broncher. Ils nous font attendre sur le bas côté. Ils parlent en hébreux avec l'un des chefs de la police palestinienne d'Hébron, qui conduisait le pick up. Ils se mettent à fouiller le véhicule de fond en comble. Là, ils trouvent dans la boite à gant, un chargeur de flingue, plein. La tension monte d'un cran. Sans rien comprendre à ce qu'ils disent, nous sentons que la présence de ce chargeur a grandement énervé le soldat, surtout qu'il ne trouve pas le flingue qui est supposé aller avec. Après un dernier check up de la voiture il nous ordonne de remonter pour attendre la vérification de nos identités. A ce moment se pointe une équipe de télévision. Ils se mettent à filmer la scène et puis voyant que rien de croustillant ne se passe, ils finissent par partir.

Lorsque nous étions tous dans la voiture, nous avons remarqué que l'un des soldats qui nous avait braqué, jouait avec la lampe accrochée à son M16. Il courrait après son collègue et tentait de lui mettre la lumière dans les yeux. J'étais effarée ! C'est à ce moment que je me suis rendue compte que la plupart de ces soldats sont de très jeunes hommes, à peine sortis de l'école. Nous avons attendu une bonne heure, pendant laquelle d'autres voitures ont été contrôlées (voir photo). Une autre jeep blindée est venue s'arrêter juste à côté de nous. Les militaires ont braqué la lampe aveuglante de leur jeep sur nous et ont joué du gyrophare plusieurs fois. Je ne sais pas trop où était l'intérêt, mais ça ne nous a pas perturbé.

Nous avons finalement récupéré nos passeports et sommes repartis, blasés. Avant de nous raccompagner à notre lieu de couche, le policier s'est arrêté au coin d'une autre rue et s'est mis à prier. Étonnés, nous lui avons demandé pourquoi il faisait ça. C'est alors qu'il a sorti de la droite du siège conducteur un énorme flingue en disant : "heureusement qu'ils n'ont pas trouvé ça !" Nous étions subjugués. Comment ont ils pu passer à coté de ça ? Mais bon, nous étions heureux que les soldats n'aient rien trouvé. Le conducteur nous explique que même en tant que chef de la police palestinienne, il n'a pas le droit d'avoir d'armes sur lui et que si les soldats l'avaient trouvé, nous aurions certainement été expulsés du territoire après interrogatoire, et lui, aurait terminé sa course dans une geôle israélienne, doublée d'une amende de plusieurs milliers de dollars... En rigolant, il nous assure que dans quelques semaines, lorsqu'il recroisera le soldat avec qui il a négocié, il lui dira ce qu'il a manqué !

C'est ainsi que nous avons vécu une infime part de leur vie quotidienne, tout en sachant que ce n'était qu'une seule soirée et que pour eux, c'est toute une vie.

Nadia S.

4 février 2007

Carnet de bord, visite d'Hébron (1ère partie)

Nous avons quitté Jérusalem ce 7 août 2006, afin de nous rendre à Hébron, la plus grande ville de Cisjordanie. Après un changement de véhicule obligatoire non loin de Bethléem, nous sommes enfin arrivés. Nous n'avons rencontré qu'un check point. Les habitants nous disent que la guerre au Liban a sollicité une partie du contingent de l'armée israélienne, ce qui a libéré quelques barrières, habituellement fermées ou du moins, très contrôlées (voir photo).

Nous sommes directement partis visiter la petite mosquée d'Abraham. Sur le chemin, nous avons traversé un petit marché, qui semblait s'étioler au fur et à mesure que nous nous approchions de la mosquée. Les gens sont très accueillants, une fois qu'ils comprennent que vous n'êtes pas des colons. Les quelques vendeurs qui subsistent à l'entrée de la vieille ville ont insisté pour que nous prenions gratuitement quelques fruits. Nous avons négocié avec eux pour payer, mais ils ont refusé catégoriquement. C'est la première fois que je dois marchander dans ce sens là ! 


Au fur et à mesure, la vieille ville se vide de plus en plus. Les ruelles sont protégées au dessus de nos têtes par des grillages défoncés et encombrés par tout un tas d'ordures diverses et variées. En regardant attentivement les immeubles au dessus de ces grillages, nous apercevons une banderole de drapeaux israéliens. Les jeunes palestiniens qui nous accompagnent nous expliquent que se sont des colons qui balancent leurs ordures sur les passants. C'est la raison de la présence de ce grillage de protection. D'ailleurs, les réactions ne se font pas attendre et nous recevons une petite pierre lancée d'une fenêtre. Nous pressons le pas car nos guides ne sont pas tranquilles. Les colons font souvent des descentes dans la vieille ville nous expliquent-ils. Ils sont armés et peuvent tirer sans aucune raison apparente, sous le regard des soldats immobiles.

Avant d'arriver à l'entrée de la fameuse mosquée d'Abraham, nous prenons un jus de carotte auprès du seul petit magasin encore ouvert dans cette partie de la ville. C'est une vieil homme (voir photo) qui tient sa petite boutique et qui a fermement décidé de ne pas la fermer.

Nous atteignons enfin notre but. Après trois barrières de contrôles de l'armée israélienne, nous découvrons cette petite mosquée, simple et modeste qui pourtant représente une place d'une importance sans commune mesure pour les habitants. En effet, là repose le Père des trois religions monothéistes : Abraham. La mosquée est maintenant coupée en deux. La deuxième partie est devenue une synagogue fréquentée par les 400 colons qui occupent le centre ville. D'ailleurs, la tombe du patriarche est visitable des deux côtés, et on peut apercevoir à travers la grille, les visiteurs israéliens. Des échanges de regards se font : ils semblent se questionner sur notre présence du "mauvais" côté de la grille...

Pendant que nous visitions cet endroit, l'un de nos guide s'est fait gifler par un soldat semble-t-il pour avoir parlér à deux jeunes allemandes qui se trouvaient là. Choqué, le jeune homme est venu nous trouver afin que nous partions au plus vite. En sortant, un enfant d'une dizaine d'année, fut agrippé par un soldat qui lui criait dessus. Apparemment l'enfant a été violemment questionné à propos d'une inscription faite en arabe sur son bras... La tension est véritablement palpable et les gens de la vieille ville sont très stressés et paraissent parfois atteindre un certain degré de folie.

Le soir de cette journée du 7 août, nous sommes allé fumer une chicha dans un café, afin de nous relaxer. Nous avons passé une soirée inoubliable avec un groupe d'hommes palestiniens. J'en avais mal aux joues de rire de leurs blagues. Il y avait une ambiance merveilleuse. Ils sont très joyeux et semblent avoir beaucoup de choses à nous apprendre. Pendant que nous discutions, tout en buvant un thé à la menthe, deux jeunes hommes sont arrivés sur une superbe moto de course. Nous avons tous été surpris de cette entrée spectaculaire et bruyante. C'était d'ailleurs la première fois que nous apercevions un tel engin en territoires occupés. Nous avons donc demandé à nos hôtes comment se faisait il que les jeunes n'avaient pas de deux roues. L'explication est tombée comme une sentence : les soldats israéliens ont interdit la possession de deux roues aux habitants des territoires ! Ne me demandez pas quelle est la raison officielle, je l'ignore. Le fait est que les deux jeunes motards nous ont indiqué qu'effectivement s'ils se font choper sur leur moto, ils sont immédiatement arrêtés et emprisonnés.

L'un des policiers palestiniens nous a expliqué que l'une des raisons probable de cette interdiction provenait de la prolifération d'un trafic de véhicules qui subsiste entre Israël et les Territoires Palestiniens. Selon ses dires, certains israéliens s'accorderaient avec des palestiniens pour faire voler leur véhicule par ces derniers. Ainsi, le propriétaire israélien touche l'assurance, pendant que sa voiture est revendue en pièces détachées dans les territoires. Évidemment, chacun prend sa commission sur la revente de ces pièces. C'est pourquoi il est très fréquent de voir les soldats pratiquer un relevé des numéros de série des pièces composant les véhicules contrôlés, afin de vérifier qu'elles ne proviennent pas d'un de ces trafics juteux.

Quoiqu'il en soit, nous avons passé une excellente soirée en présence de ces hommes. L'un d'entre eux, qui travaille pour la police palestinienne nous a raccompagné dans son pick-up. Nous étions tous à l'arrière, les cheveux au vent, criant de joie dans la nuit calme d'Hébron. Le bonheur de notre présence réciproque était d'une force impressionnante. Pendant rien que quelques minutes, nous avons senti cette force, cette liberté émaner de chacun d'entre nous. Nous avons fait "la fête" dans les territoires occupés par des colons qui s'épuisent à haïr et à humilier des habitants, dont certains arrivent tout de même à en rire ! C'est la plus grande preuve d'humanité que nous pouvions recevoir. Cette journée restera gravée dans ma mémoire à jamais... Hébron, la ville où le sourire ne se perds pas malgré la dureté de l'épreuve quotidienne.

Nadia S.

Hébron, ville fantôme

Avec une population d'environ 500 000 habitants, Hébron est la ville la plus peuplée de Cisjordanie. Située dans le sud des territoires occupés, non loin de Bethléem, Hébron est en proie à une situation particulièrement difficile.

La ville d’Hébron a connue des heures très sombres. Si dès 1929 les tensions atteignent déjà des sommets avec le massacre de 67 juifs, sous le mandat britannique, la situation n'a que très peu évoluée. et la colonisation y ajoute son cortège de violence, d'humiliation et de colère.



Coupe gorge

Colonie juive d'Hébron vu du toit d'un
immeuble, côté palestinien. 
Séparation arbitraire en plein coeur
de la ville. De l'autre côté, la colonie.
Aujourd’hui, au cœur de cette ville palestinienne, se dresse, une colonie israélienne abritant environs 400 colons. Ces quatre cents juifs orthodoxes sont protégés par plus de 2 000 soldats sur armés. Cette présence a créé une situation particulièrement tendue et dangereuse pour tous palestiniens qui s’approcheraient d’un peu trop près des séparations arbitrairement élevées dans la ville. Cette « bataille » des maisons, est due notamment à la présence du tombeau des patriarches. Serait enterré en plein cœur d’Hébron, Abraham, le père des trois religions monothéistes majoritaires. Son tombeau était à l’origine une mosquée. Mais, le 25 février 1994, le dr. Barry Goldstein, un colon fanatique, entre dans la mosquée Al Haram al Ibrahim, à l’heure de la prière au 15ème jour du mois de Ramadan. Il tire sur les fidèles, tuant ainsi 29 personnes dont trois enfants. Les musulmans n’étaient pas autorisés à entrer dans la mosquée, à l’exception de quatre jours par an. C’est durant l’une de ces quatre journées, que Goldstein a pénétré dans le lieux saint.


Suite à cette tuerie, l’armée israélienne a imposé à la population palestinienne un couvre feu durant quarante jours, puis partagé la mosquée en deux parties, dont l’une est devenue une synagogue. Tout le quartier, qui constituait le souk de la ville, a été fermé. Le centre ville a été complètement bouclé. Les marchands, menacés directement par les soldats et les colons armés, ont fermé leurs boutiques par peur des représailles. Le souk est devenu fantomatique (photo: souk dans la vieille ville d'Hébron), les habitations ont été vidées. La vieille ville d'Hébron comptait plus de 20 000 habitants, il n'en reste aujourd'hui que 3 000. Les rues jouxtant les maisons israéliennes sont protégées par des grillages. Les colons jettent régulièrement des détritus, des parpaings ou des briques sur les passants palestiniens.

Aujourd’hui encore, afin d’atteindre la mosquée, trois contrôles de soldats, communément appelés « check point », sont obligatoires. A 10 mètres de décalages, trois barrages sont imposés à toute personne visitant le lieu de prière, côté palestinien. Il n’est pas rare que l’accès soit refusé aux habitants sous des prétextes incohérents. Les soldats invoquent à tort et à travers la « raison de sécurité ». De l’autre côté en revanche, les colons sont autorisés à porter des armes dans les lieux saints et à pénétrer en toute liberté dans leur parti du tombeau. Ils peuvent aussi se balader dans les rues proches de leur colonie, sous bonne escorte militaire, effrayant du même coup tout palestinien présent dans cette zone.

Ce centre ville est  devenu au fil des années un véritable coupe gorge pour les palestiniens. Une association américaine nommée « Christian Peacemaker Team », a élu domicile exactement au point de séparation entre la vieille ville arabe, et la nouvelle colonie. Cette association chrétienne a été mise en place afin de promouvoir un dialogue entre les deux parties et réduire les violations aux droits humains dans les zones de conflits. Cependant, récemment, beaucoup d’internationaux ont été attaqués physiquement par des colons, rendant le travail difficile. L’association continue de développer une forme d’accompagnement pour permettre, notamment aux enfants palestiniens, d’atteindre leur école sans problèmes. (photo: un enfant palestinien rentre chez lui, à l'entrée de la colonie) De nombreuses attaques de colons sur ces enfants ont été répertoriées.

Zones de « sécurité »

Deux zones ont été mises en place dans la ville : la zone H1, où la sécurité est assurée par les Palestiniens et H2 dans laquelle, les habitants, israéliens ou palestiniens sont sous le contrôle Israélien. Cependant, cette délimitation n’arrête pas les soldats israéliens qui interviennent quasi quotidiennement dans les quartiers dits zone H1. (photo : une femme tente de négocier le passage avec des soldats)

De plus, la police palestinienne qui tente d’établir un certain ordre, n’a plus de ressources et est privée de l’usage et de détention d’armes. « Nous ne pouvons pas faire régner l’ordre si nous n’avons aucun pouvoir. Les soldats sapent notre autorité, nous confisquent et nous interdisent le port d’armes. Comment peut on arrêter des criminels armés si nous n’avons rien d’autres qu’une matraque ? Témoigne l’un des responsables de la police de la ville. Au début je gagnais 700 dollars par mois, depuis six mois, je n’ai reçu que 600 dollars.» ajoute t il. En effet, les fonctionnaires ne reçoivent plus leur paye depuis l’élection du Hamas au gouvernement et le boycott de la communauté internationale.


Réelle compassion ou jeu politique ?

L’agressivité des colons d’Hébron a été maintes fois critiquée par les israéliens eux-mêmes. (photo: un père d'une famille de colons nous lance des pierres ) Récemment un article parut dans le Jérusalem Post, signé de l’ancien ministre de la justice israélienne, Yosef Tommy Lapid, a fait polémique. « C’est impensable que la mémoire d’Auschwitz serve de prétexte pour ignorer le fait, que non loin de nous, il y a des juifs qui se conduisent avec les palestiniens exactement de la même manière que les antisémites allemands, hongrois ou polonais, se sont conduit avec les juifs à une époque. » Déclare-t-il.

Ajustant tout de même son propos, il ajoute : « je ne parle pas des crématoires ou des pogroms, mais plutôt des persécutions, poursuites, lynchages, déconsidérations de vie, tactiques d’intimidation, crachats et mépris. » (photo: une porte palestinienne marquée par les colons) Se flagellant oralement sur ses anciennes non réactions face à la situation d’Hébron, l’ancien ministre de la justice se rappel sa lâcheté : « Même pire : j’ai réagit avec silence lorsque j’étais ministre de la justice. » Insiste-t-il.

La situation à Hébron se dégrade de plus en plus et la sécurité des habitants palestiniens de la ville n’est absolument pas assurée face aux colons armés et aux soldats qui tirent sans sommation dans les foules palestiniennes.


Nadia S.