31 mars 2007

Carnet de bord, Naplouse ou la ville des martyrs

Ça y est, je suis dans les territoires. Je passe tranquillement le check-point de Kalandia, rejoignant Jérusalem à Ramallah. Je suis dans un minibus collectif, et aucun soldat ne vient nous importuner. Par contre, en sens inverse, les fouilles de voitures vont bon train, et la queue au passage des tourniquets est immense. Je passe quelques temps sur Ramallah, qui n’a pas changé depuis mon départ. Je rejoins un ami et nous nous dirigeons tous les deux sur Naplouse.

Après une demi heure de voiture, nous descendons devant le check-point d’entrée de la ville. La plupart des véhicules ne passent pas ce check point, il faut une autorisation spéciale. Nous croisons une voiture de colons, qui tourne avant l’entrée de Naplouse et se dirige vers la colonie israélienne la plus proche, sur la colline. Le jeune à l’arrière, en voyant que nous observions le véhicule nous fait un signe d’insulte de la main. Je me retourne pour comprendre à qui il s’adresse et je m’aperçois que c’est bien à nous qu’il fait ce signe. La voiture s’éloigne et je reste quelque peu perturbée par cet accès d’agressivité gratuite.

Nous passons le chemin de barbelés, le tourniquet d’entrée, et nous apercevons en sens inverse une queue de plusieurs mètres. Les gens s’entassent là pour sortir de la ville. Les femmes sont séparées des hommes, et chacun tente de presser le passage.

Nous prenons un autre taxi afin de nous rendre à Al'Ein camp (voir photo à droite) , le premier camp de réfugié de Naplouse, lieu d’habitation de la famille de mon ami. Nous passons rapidement devant la Moqata de la ville, qui est toujours en ruine, puis le chauffeur nous dépose devant l’entrée du camp. Sur le chemin, nous apercevons de nombreux policiers palestiniens en armes. Je demande pourquoi ils sont là, car je ne les avaient pas vue la première fois que j’étais venue. Mon ami m’explique qu’ils recherchent les trafiquant de véhicules en contrôlant les numéros de série des pièces de voitures. Ainsi, ils espèrent démanteler un juteux trafic qui s’opère entre certains israéliens et palestiniens.

En sortant du véhicule, nous entrons dans les ruelles étroites d’un mètre au plus, telles des serpentins. J’aperçois dans ces ruelles deux longs tonneaux remplis de sable mis en quinconce au milieu du chemin. Ceci n’était pas la lorsque je suis passée précédemment. Ils ont en fait été installer là dans le but de faciliter la guérilla urbaine qu’opère les différentes milices armées contres les soldats israéliens.

Nous entrons finalement dans la maison de mon ami. Le repas est servi et nous nous mettons à table. Le père de famille ne tarde pas à me montrer des photos de son neveu, tué il a deux mois par les soldats. Mohammed avait 24 ans, il était combattant des Martyrs d’Al Aqsa. (photo à droite et ci dessous) Il a été tué dans une ruelle non loin de là. L’homme d’une cinquantaine d’années me parle de Mohammed comme ci celui-ci était son fils, il a les larmes aux yeux et me témoigne : « quand il était en vie, l’armée israélienne ne pouvait pas pénétrer dans notre camp de réfugiés, il protégeait nos maisons comme personne. Depuis qu’il est mort, les soldats entrent toutes les nuits. »


Mohammed était recherché par l’armée israélienne depuis plusieurs années maintenant. « Regarde la vidéo de sa mort, me dit le père. Ils pouvaient l’attraper et le mettre en prison, mais ils voulaient le tuer. » En effet, sur la vidéo amateur, filmé en cachette d’un immeuble qui surplombe la ruelle, nous assistons à une exécution en bonne et due forme. Les soldats tirent à bout portant sur le jeune homme et son ami. Ils sont tous deux morts de deux balles dans la tête.



Depuis quelques jours, je suis donc à Naplouse, ville que j’affectionne particulièrement. Les rafales font rages la nuit, la musique reprend son rythme. Il est absolument proscrit de sortir le soir tard. Chaque matin, nous apprenons la mort de certains des habitants de la ville : tels des pions, ils tombent sous le joug de l’occupation militaire. Pourtant, les enfants reprennent leurs jeux dans les ruelles étroites des camps, la vie continue, même si pour certain elle s’est arrêtée avant l’aube.


Nadia S.

27 mars 2007

Carnet de bord, arrivée à tel aviv, mars 2007

Me voici donc une nouvelle fois au Proche Orient. J'ai atterri à Tel Aviv dimanche 18 mars, vers 5h du matin. , 

David, un ami, est venu me chercher à l'aéroport de Ben Gourion. Il m'a installée dans un hôtel sympathique,
à Tel Aviv, non loin de chez lui, en face de la mer. L’après midi, nous avons visité les rues alentours. David m’a montré deux endroits où des attentats suicides ont été perpétrés, faisant plusieurs victimes israéliennes. Le premier a eu lieux il y deux ans et deux moi, à l’entrée d’une discothèque. Les responsables de la boutique à coté se souviennent parfaitement de la date. « Il y avait des corps partout » m’explique David. Le lieu est encore fermé, presque abandonné. Nous continuons notre chemin et nous passons devant la mosquée dite « officielle » de Tel Aviv. Non loin de là, un autre attentat suicide a été perpétré devant une discothèque (photo ci dessous). Cet attentat date de juin 2001, mais David s’en souvient. Il y a d’ailleurs une plaque avec les noms des victimes inscrites dessus, en hébreux, en anglais et en russe, car la majorité des morts étaient d’origine de Russie.


« C’était la première fois que j’ai ressenti la haine envers les arabes » m’explique David. Pourtant, cet homme d’une trentaine d’années s’intéresse beaucoup au conflit et notamment à la situation des palestiniens. Mais ce jour là, m’explique t il, il a perdu tout contrôle. « J’ai été témoin du mouvement de foule qui s’est dirigé vers la mosquée Hassan Bek. Les gens tentaient de grimper le long du muret pour la détruire. J’ai été témoin de la haine que les israéliens peuvent avoir contre les musulmans. Cet attentat a changé la face du conflit. » Insiste David. Les gens ont en effet lancé des pierres en criant « morts aux Arabes » suite l’attentat suicide. Il m’explique qu’a partir de ce jour là, les israéliens n’ont plus vue les palestiniens de la même manière et que pour eux, c’était une question de vie ou de mort de se protéger.

D’autre part, le père du jeune suicidaire s’est félicité à la télévision de l’action de son fils. David me dit qu’il n’a vraiment pas apprécié et que d’ailleurs les familles des victimes non plus. Selon lui, la famille du suicidaire est sous haute protection dans les territoires palestiniens car les familles d’origines russes ont fait appel à la mafia et ont lancé un contrat sur toute la famille du suicidaire.


Nous avons continué notre promenade et le long de la plage, nous sommes tombés sur une plaque en l'honneur de la « libération de Jaffa ». Autrement dit, en l'honneur de ceux qui ont chassé la majorité des Arabes de Jaffa. David me témoigne son désaccord avec cette plaque et notamment avec son sigle. En effet, lorsque l’on s’approche de la plaque en question, on peut apercevoir un sigle où figure la carte de la « grande Israël », englobant une partie de l’Égypte et de la Syrie, ainsi que le sud Liban et la Jordanie.

Nous arrivons au fil de notre marche à l’entrée du quartier arabe de Jaffa. Je prends un peu de terre dans une bouteille pour une vieille dame de 90 ans, réfugiée à Naplouse. Cette vieille femme est née à Jaffa et s’est faite chassée de son village. David me suggère d’y mettre un brin d’olivier, je m’exécute, agréablement surprise par l’attention qu’il porte à ce geste et à sa symbolique.

Pour rentrer dans le centre de Tel Aviv, nous avons pris le bus. Ce même bus qui peut sauter d’une minute à l’autre. En entrant tout le monde se scrute, une petite boule se forme dans l’estomac : la peur. Je ne sais pas si je pourrais faire ce type de trajet tous les jours pour aller au travail. Je comprends quelque peut le sentiment des citoyens israéliens, tout en regrettant amèrement la situation dans les territoires occupés. D’ailleurs, David me raconte qu’à son travail il côtoie un colon. Ces israéliens qui habitent dans les territoires palestiniens. Il me dit : « je lui ai demandé comment imagine-t-il l’avenir, puisqu’un jour il devra partir, alors pourquoi va-t-il s’installer là bas, pourquoi veut-il infliger ça à ses enfants !? s’exclame t il. Le colon me répond qu’il s’en fout et que la vie est moins cher, qu’il a des avantages à vivre là et que s’il doit partir, il partira. » J'étais estomaquée par le manque de considération qu'a cet individu pour les conséquences de son acte. David, en me racontant cette histoire, avait l'air désolé.

Je rentre à mon hôtel en cette fin de journée, exténuée. Demain, je suis de retour dans les territoires palestiniens. Direction Jérusalem, Ramallah, puis Naplouse.

Nadia S.

24 mars 2007

Retour sur Paris

Trois jours après la mort de Mountacer, j ai repris mes valises en direction de Ramallah puis de Jerusalem. En passant le check point de sortie de Naplouse, l'un des soldats qui contrôlait les identités a voulu plaisanter avec moi. Voyant que je suis française, il s est essaye a parler avec moi "comment ça va" m a-t-il demandé. Je n ai pas répondu. Je dois avouer qu'à ce moment là j'imaginais encore que ça pouvait être lui le tueur du jeune palestinien trois jours plus tôt. Avec un total dédain, je l'ai ignoré et continué ma route. J'ai ressenti un fort sentiment de mépris envers ces jeunes israéliens en uniforme. Elle a duré quelques minutes, mais elle était bien la, en moi : la haine. J ai fini par la chasser de mon esprit, non sans mal. Je n'aime pas ce sentiment, il n'est porteur de rien de bon.


J'ai finalement pris mon avion de retour sur Paris. En passant à l'aéroport de Tel Aviv, une chose m'a particulièrement choquée. Une jeune femme s'est approchée de moi alors que je faisait la queue pour faire contrôler mes bagages par la sécurité. Elle m'a posée tout un tas de questions sur mes origines, le nom de famille de mon père etc. Elle m'a alors affublé de plusieurs étiquettes portant la couleur violette. En regardant attentivement autour de moi, je me suis aperçue que tout le monde ne portait pas la même couleur. En arrivant au poste de sécurité, il y avait plusieurs files, en fonction de la couleur que portait nos bagages et billet d'avion. Une file rassemblait  les musulmans : toutes les femmes qui portaient le voile se dirigeait vers cette file. J'ai été horrifiée de constater que nous étions trié en fonction de nos origines et de notre religion. Portant un nom a consonance juive, ainsi que mon père, j'ai été envoyé dans la file des juifs étrangers. En me renseignant auprès d'autres amis qui ont voyage en Israël, les chrétiens portaient une couleur différente. Mon contrôle de sécurité a duré dix minutes, alors qu'une des jeunes musulmanes qui est arrivée en même temps que moi y a passé plusieurs heures. D'autres français, ni juifs ni musulmans, ont aussi témoigné d'un long interrogatoire sur leur voyage dans le pays.


Je n'ai pas tout de suite réalisé la définition exacte de ce type de trie. Je n'ai pas eu le réflexe de demander à la jeune fille qui m'a questionnée, a quoi correspondaient les différentes couleurs des étiquettes qu'elle collait sur les passagers. Je suis arrivée a Paris dans la journée, déboussolée par tout ce qui s est passé durant ce mois d'août 2006. J'ai quitté Israël et la Palestine en ne rêvant que d'une chose : revenir.

Nadia S.

7 mars 2007

Mountacer, martyr à 15 ans

Ce samedi 26 août 2006, je suis invitée par les jeunes animateurs du camp de Askar al Qadim, à déjeuner. A 12h10 précise, l’un des responsables du centre social entre dans la pièce pour nous annoncer une terrible nouvelle…

... « Nous avons un nouveau martyr : Mountacer vient de mourir ». Il se dirigeait vers l’hôpital de Naplouse pour visiter son frère blessé quelques temps plus tôt d’une balle dans la jambe. Sur son chemin il aperçut les soldats israéliens détruire une maison. Un groupe d’enfants s’amassa non loin et jeta des pierres sur les bulldozers. Mountacer, s'est joint à eux.  Au moment de fuir, les soldats rétorquent à balles réelles.  Mountacer, 15 ans, est mort sur le coup. Il était l’un des jeunes qui fréquentaient le centre social et j'avais eu l'occasion de le rencontrer durant ces quelques jours.

Martyr
Mountacer a pris une balle
dans le dos qui lui a été fatale.
Le cortège funèbre traverse la ville.
Toute activité dans le camp de réfugiés de New Askar cesse. La nouvelle du martyr fait le tour de la ville en quelques heures. Est en fait considéré comme « martyr » toute personne décédée par la faute des soldats israéliens ou dans le cadre de l’occupation israélienne dans les territoires. Ce jeune homme n’était pas un combattant, c’est une certitude mais il a été érigé au rang de martyr par le simple fait que sa vie lui a été enlevée par un soldat israélien. Un processus de "martyrisation" qui n'est pas propre aux musulmans : les chrétiens de Béthleem, par exemple, opèrent le même processus avec en éffigie, non plus la mosquée d'Al Aqsa, mais bien le Saint Sépulcre. Des occidentaux sont aussi érigés à ce rang, dès lors qu'ils périssent dans le cadre de l'occupation militaire israélienne.  Aujourd'hui, le camp de réfugiés de New Askar est en ébullition. Vers la fin d’après midi les hommes se rendent à l’hôpital afin d’escorter le corps du jeune homme jusque chez lui. Des dizaines de voitures arborant tous types de drapeaux à l’effigie de la Palestine et du Hamas, entourent l’ambulance qui transporte le jeune Mountacer. Sirènes et klaxonnes retentissent dans toute la ville.

Les soldats ont détruit
le bâtiment sur les familles
La prière du mort à la mosquée
du camp d'Askar Ajadid,

Rituel
Après que les femmes de la famille lui aient dit un dernier au revoir, le corps est déposé dans la mosquée du camp. Juste après la prière du coucher du soleil, les hommes se réunissent afin de prier sur le jeune homme. L’imam rappel que sur le lieu de la destruction d’autres personnes sont encore sous les décombres. Il en appel à la solidarité des habitants afin de participer aux recherches : d'autre victimes sont encore sous les décombres. 

Le rituel accompli, le corps, déposé depuis l’hôpital sur un brancard, est levé au dessus des têtes sous les cris de « la Ilaha Ilallah », « il n’y a de Dieu que Dieu ». Une marrée humaine défile dans le camp, drapeaux et armes pointés vers le ciel.

De nombreux tirs retentissent dans toute la ville, toutes les femmes sont aux balcons et observent la la vague d'hommes se déplacer en direction du cimetière. Le corps de Mountacer gît, paisible, au milieu de l’excitation que suscite sa mort. Il est blanc, et particulièrement beau : on dirait qu’il dort. On s’attend presque à ce qu’il les ouvre et qu’il reparte de plus belle. Les gens se pressent autour de lui pour l'embrasser une dernière fois. Au dessus de la foule ardente, Mountacer est amené à sa tombe.
Il prendra terre à l’heure de la prière du soir.


 Le lendemain, les affiches à son effigie arborent déjà les murs. Ces affiches pullulent à Naplouse. Des plus vieilles, déchirées, aux plus récentes, représentant des hommes, des femmes ou des enfants. Elles témoignent du nombre intensif de pertes humaines que comptent les familles palestiniennes.



Nadia S.

3 mars 2007

Carnet de bords, summer camp avec les enfants handicapés

Les français sont partis ce 17 Août 2006. Je reste donc seule au camp d'Askar. Qu'à cela ne tienne, le responsable du centre social me propose de venir les aider au summer camp des enfants handicapés des camps de réfugiés de Naplouse. Me voici donc animatrice au milieux de plusieurs dizaines d'enfants, pour la plupart victimes de l'armée israélienne, originaire des différents camps que comptent la ville.



Musique, dessins, sorties en tous genres sont au programme de cette semaine passée avec les enfants handicapés. Les handicaps sont différents et concernent autant le physique que le psychologique. Au rythme effréné des musiques orientales, nous dansons, peignons, rions et jouons. L'organisation n'est pas très précise, mais le but est de sortir ces enfants de leur quotidien pesant.



Lors de l'une des activités, les animateurs devaient dessiner sur les visages et bras des enfants afin d'organiser une sorte de mini carnaval. Nous voici donc tous, pinceaux à la main décorant ces petits bout de choux. L'un des jeunes animateurs inscrit sur le bras d'un petit garçon, a sa demande, "we love freedom", traduit en français "nous aimons la liberté". Je fus étonnée de voir ces nombreux bambins demander a être affublé de ce message d'espoir. C'est alors que je me suis rendue compte qu'effectivement, cette idée ne les quittait jamais. Nous avions beau faire des pieds et des mains pour qu'ils tentent d'oublier quelques heures la situation de leur pays, c'était en vain.

En fin de semaine, nous avons accompagné ces enfants à la piscine. Dernière journée de la semaine, nous voulions marquer le coup en les emmenant dans un endroit qu'ils n'avaient pas l'habitude de fréquenter : la piscine découverte de Naplouse, située sur une colline surplombant le check point de sortie de la ville. Les enfants s'amusent depuis déjà plusieurs heures. C'est alors que sur la route sur le bas côté, certains apperçoivent une jeep blindée qui semblent poursuivre deux hommes à pieds. Plaqués au sol, ils sont fouillés, puis contrôlés et finalement relâchés au bout de vingt bonne minutes. Les enfants ont eu le temps de faire passer le message entre eux, et de s'ammasser sur la petite barrière de la piscine. Ils hurlent en coeur "Hezbollah, Hezbollah !!" et d'autres choses en arabe, que je ne comprends pas. A ce moment, un soldat sors de la jeep blindée et nous vise avec son M16. Il ne tire pas mais nous vise d'une manière insistante pour faire peur aux enfants, qui se déchainent à crier et siffler de plus belle. Finalement, ils repartent sous les hurlements des bambins qui ne daignent pas décoller de la barrière, malgré les ordres des responsables.

Nous finissons notre journée de trempette et en rentrant nous remarquons que des hélicoptères survolent notre zone. Il est impossible d'oublier, ne serait ce que quelques heures. Nous avons tout essayé mais rien n'y fait, l'oubli momentané et salvateur n'est pas possible, il y a toujours quelques chose, quelqu'un, un bruit, une jeep, un soldat qui nous rappel inlassablement que nous sommes sous occupation... la pression est constante.

Nadia S.