16 mai 2007

J'ai survécu à la Nakba

Ce mardi 15 mai, les palestiniens célébraient le 59eme anniversaire de la Nakba. Cette journée commémore l'expulsion, en 1948, de la majorité des palestiniens des terres formant aujourd'hui l'état d'Israël. Le Centre de Ressources pour les Droits des Refugiés Palestiniens dénombre actuellement 6 millions de refugiés de 1948, comptabilisant les descendants. La Nakba est à la base de l'épineuse question des refugiés palestiniens et notamment de leur droit au retour, assuré par le droit international, mais refusé par l'état d'Israël. Sadiqa Aïssa Abu Syryeh est une survivante de la Nakba palestinienne. Agée de 91 ans, elle a fuit Jaffa (ndlr: ville située dans la banlieue de Tel Aviv) au printemps 1948. Aujourd'hui, elle vit dans le camp de réfugiés de New Askar, non loin de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie.



Pourquoi êtes-vous partie de Jaffa ?


A cette époque à Jaffa, un groupe de palestiniens commençait à s'organiser pour résister à l'occupation britannique. L'armée anglaise faisait des descentes régulières dans notre ville. Aidés par des collaborateurs palestiniens, ils arrêtaient ou exécutaient tous ceux qu'ils soupçonnaient d'être des activistes. La résistance s'est intensifiée et chacun participait d'une manière ou d'une autre : nous devions nous défendre. Mon mari s'occupait d'acheter les armes et ils se relayaient pour monter la garde. Les anglais ont commence a mettre le feu entre les juifs et le reste des palestiniens. Ils commettaient des kidnapings ou des assassinats et les attribuaient aux uns ou aux autres. Un jour, les anglais ont imposé un siège sur Jaffa. Ils ont fermé les deux ponts qui permettaient l'approvisionnement de la ville. Les prix ont grimpé et les magasins se sont rapidement vidés. Je me souviens avoir fait toutes les boutiques pour acheter de la farine, j'en ai pris deux unités pour faire des provisions mais après, c'était impossible d'en trouver. Les vendeurs tentaient de répartir ce qu ils avaient équitablement à tous les habitants. Au bout d'un mois de siège, nous n'avions plus rien à manger. Les résistants nous ont dit que ceux qui pouvaient, devaient s'échapper.



Comment s'est déroulé votre voyage jusqu' à Naplouse ?


Lorsque nous avons décidé de partir, nous avons beaucoup réfléchit, car à la sortie de la ville, la Haganah (ndlr : groupe paramilitaire juif) nous persécutait. Ils entraient même dans la ville : souvent, lorsque mon mari allait nourrir ses bêtes, les hommes de la Haganah lui tiraient dessus. Nous sommes finalement partis avec le premier groupe. Nous avons été chanceux, car les suivants se sont faits arrêtés et souvent exécutés. Je suis partie en direction de Qalquilia avec mon mari, mes neuf enfants et quelques oncles et tantes. Sur le chemin, mes deux filles de trois ans sont mortes. Nous sommes arrivés à Qalquilia sans rien. Un mois après, ils nous ont rattrapés. Ils ont tiré de tous les cotés. Je ne sais pas si c'était un groupe juif ou l'armée anglaise, mais j'ai reçu une balle dans l'épaule. J'ai pris mes enfants et j'ai courut me réfugier. Nous nous sommes échappés vers Naplouse, ou nous avons vécu quatre ans dans une grotte. La situation etait particulièrement difficile. L'hiver, la neige recouvrait totalement l'entr'e de la grotte. Nous nous sommes fait de nouveau attaqu's et les palestiniens de la ville ont fini par nous aider ainsi que les gens du camp de l`Ein. Ils nous ont donn" des couvertures, une pour chacun d"entre nous. Etant donné notre nombre important, le roi Hussein de Jordanie nous a fourni des petits terrains de sept mètres sur quatorze, avec l'aide de l'UNRWA (ndlr : United Nations Reliefs and Works Agency). Sur mes neuf enfants, seuls cinq ont survécus.



Que pensez-vous de cette journée de la Nakba, c'est important pour vous le droit au retour ?


Pour moi, la Nakba se vit chaque jour. Les gens ne peuvent pas comprendre. Je suis retournée visiter Jaffa en 1976, ils ont construit un immeuble à la place de ma maison. J'avais 90 dunams avec trois maisons. Même s'ils me proposent de l'argent afin de renoncer à mon droit au retour, je n'en veux pas : je veux rentrer chez moi. Ce n est pas la faute des juifs mais des anglais, car nous vivions sous leur reponsabilite. Quand je suis partie, je n ai meme pas pris mon papier de propriété car je pensais que nous reviendrions une fois les problèmes terminés. - S'adressant à son petit fils - Si vous finissez par retourner vivre sur nos terres et que je suis décédée, prenez mon corps avec vous.


Nadia S.

10 mai 2007

Portfolio: Check point de Kalandia, Ramallah

Le check point de Kalandia est l'ouverture principale du mur de séparation, à plusieurs dizaines de kilomètres du tracé de la ligne verte. L'accès à  Jérusalem est interdit aux palestiniens n'ayant pas la carte d'identité israélienne ou une autorisation spéciale de passage. Jérusalem-Est est donc totalement isolée du reste de la Cisjordanie. (ces photos sont tirées d'une vidéo tournée en caméra cachée par mes soins)

Arrivée devant l'entrée de la bâtisse abritant le passage
que les piétons doivent emprunter pour se rendre à Jérusalem-Est


Passage du premier tourniquet, devant les soldats
                 enfermés dans leur mirador blindé. 


















Les soldats s'expriment à la population en hurlant, en hébreu, dans des haut-parleurs dont le son est particulièrement fort.


Tout est complètement grillagé.











A l’intérieur du checkpoint, il y a plusieurs couloirs de passages que les soldats ouvrent et ferment arbitrairement, rendant le passage plus ou moins aisé. 


















L'attente est longue 




















Les sacs doivent être déposés sur un tapis roulant à rayon X et les palestiniens passent sous un portique détecteur de métaux.

           Deuxième tourniquet















Présentation des papiers d'identité au soldat caché derrière ses vitres blindés qui hurle toujours dans son haut parleur






Troisième tourniquet



Un couloir emmène tous les passants
vers la lumière du jour.









 Quatrième tourniquet













Enfin dehors, les miradors veillent toujours alors que les bus palestiniens reprennent leur travail. 


















Vous pensez avoir passez une douane ? 
Non, selon l'ONU, vous venez de passer d'un territoire palestinien à un territoire palestinien...


Nadia S. 






2 mai 2007

« Les arabes sont des animaux ! »

Petite phrase incongrue que l’ont retrouve dans de nombreuses bouches, notamment chez le soldat servant fièrement sa patrie israélienne. Je lisais récemment dans « Les seigneurs de la guerre » de Jean Bacon, que les chefs militaires (de toutes contrées) s’attachent à « maintenir chez le soldat l’image type de l’ennemi, créature hideuse, à détruire sans délai. […] Ainsi protégé, immunisé, le soldat peut continuer la lutte. Son esprit est libre. Sa tête est vide. Son imagination est éteinte. Sa réflexion est défunte. » Petit extrait de ma discussion samedi, avec un soldat israélien, né et éduqué à Paris.

Eliot, l’un des soldat israélien tenant le check point de Huwara, à la sortie de Naplouse : « Tu es française ? Tu viens d’où ? »

Nadia : « De Paris, et toi ? »

E : « Moi aussi, de Paris 17ème pour être précis. Qu’est ce que tu fou ici ? »

N : « Je suis venue voir des amis. » (Phrase très utile qu’il ne faut pas manquer d’utiliser dans ce genre de situation).

E : « Comment tu les a connus ? En France ? »

N : « Non, l’année dernière, quand je suis venue la première fois. »

E : « Et dans ta famille, ils disent quoi que tu fréquentes des arabes ? »

N : «Heuu, je ne comprends pas trop ta question. Tu sais, ma mère est juive et mon père arabe et ça ne pose pas de problèmes. »

E : « Ahh, donc tu es juive ! »

N : « Oui, mais je ne cautionne pas pour autant ce que vous faites ici. »

Eliot, surpris : « Ah bon ? Pourquoi ? »

N : « Tout simplement parce que précisément ici vous n’êtes pas chez vous, chez vous c’est en Israël. »

E : « Mais si nous sommes chez nous, nous avons des territoires ici à protéger. » Il me montre du doigt une colonie.

N : « Non, je suis désolée mais ceci est une colonie, vous avez volé illégalement ces terres aux palestiniens. »

E : « Nous étions là avant eux. »

N : « Ce n’est pas vrai, toi tu viens de Paris, tu n’étais là avant personne. »

E : « Tu connais l’histoire des juifs toi ? Nous sommes ici pour empêcher qu’ils fassent passer des armes dans le reste du territoire. »

N : « Ça ne justifie rien, et puis ces armes d’où crois tu qu’elles viennent ? L’armée israélienne fait du business avec les palestiniens en leur vendant des armes ! »

E : « Ce n’est pas vrai, où vas-tu chercher ça ? De toutes façons, les arabes sont des animaux ! »

N : « Tu es raciste !? »

E : « Non je ne suis pas raciste, mais les arabes sont des animaux, ils foutent la merde partout où ils vont. Regarde en France, c’est pareil tu te sens bien quand tu vas à Gare de Nord ou quand tu prends le train ? »

N : « Bah, je ne me sens pas particulièrement mal et je trouve ta réflexion raciste. En plus ce que je trouve désolant c’est que les allemands disaient la même chose des juifs pendant la guerre et je trouve ça assez malvenue qu’aujourd’hui, toi, juif français, tu puisses me sortir ça. »

E, fronçant les sourcils : « Tu te sens bien parce que tu parles avec eux et que tu t’habilles comme eux. J’ai vécu plus de vingt ans en France et je sais qu’ils foutent la merde là bas. Je suis venue pour une bonne raison. »

N : « Laquelle ? Tuer des arabes ? »

E : « Non »

N : « Alors explique moi pourquoi vous déferlez dans les camps et tirez sur le moindre gamin qui ose balancer des pierres sur vos tanks et jeeps blindés ? Pourquoi vous détruisez les maisons et les administrations, imposez des couvres feu, autorisez ou non arbitrairement les sorties de la ville ? Vous créez des ghettos, pourtant les juifs savent ce que c’est que de vivre dans des ghettos. »

E : « On ne tire pas sur des gamins !! Dès qu’on tue un arabe on a une masse de paperasses à fournir à nos supérieurs. Tu mens. As-tu vue ça de tes propres yeux, des soldats tirer sur des gamins ? »

N : « Mais bien sûr !! J’ai surtout vue le résultat : des cadavres, des cicatrices, des handicapés. »

E : « Regarde ! » Il part fouiller dans le fond de son sac vert kaki. Il revient avec deux feuilles arrachées d’un cahier d’étudiant, dessus, des cartes postales collées où l’on peut lire un message pour la libération de la Palestine. « Ça, se ne sont pas des animaux qui prônent et qui diffusent ça ? »

N : « Je ne comprends pas comment tu peux parler d’animaux, se sont des êtres humains, tout comme toi. La résistance est un droit. » Ma patience commence à atteindre sa limite. « Je vais te dire une bonne chose, mon grand père a perdu toute sa famille dans les camps d’Auschwitz et de Dachau et il est particulièrement triste de voir ce que vous faites ici, notamment au nom de la Shoah, et comment vous traitez cette population après ce que les juifs ont vécu ! »

Il me regarde sans dire mots. Je prends mes affaires et m’en vais voyant que la discussion ne sert pas à grand-chose et que les autres soldats commencent à se demander ce qui se passe. Un palestinien me rattrape quelques minutes plus tard et me dit : « Je ne sais pas ce que tu lui as dit pour le mettre tant en colère, mais le soldat vient de dire en hébreux qu’il te mettrai bien une balle dans la tête... »

Nadia S.